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9 febbraio 1975
Salute a Voi, Venerati Fratelli, diletti Figli e Figlie, che
assiepate festanti questa Basilica in occasione della beatificazione di
Madre Marie-Eugénie Milleret, Fondatrice delle Religiose
dell'Assunzione. Prima di fissare lo sguardo in lei, nella sua
figura e nel suo messaggio di palpitante attualità - come faremo
subito, rivolgendoci in lingua francese a quanti oggi ci ascoltano -
ci piace rilevare il valore tutto particolare di questo avvenimento.
Abbiamo già celebrato, fin dal solenne inizio dell'Anno Santo,
indimenticabili momenti di pienezza di vita ecclesiale; ma questa è la
prima beatificazione del Giubileo, che non solo impreziosisce il coro
felice delle sue celebrazioni esterne, quanto illumina il suo stesso
significato essenziale, sostanziale, programmatico, quale l'abbiamo
delineato a tutta la Chiesa: la riconciliazione, il rinnovamento, il
primato dello spirituale, il fervore della carità, il dilatarsi
dell'apostolato: «a tutti gli uomini di buona volontà - abbiamo
scritto nella Bolla d'indizione - la Chiesa vuole indicare, col
messaggio dell'Anno Santo, la dimensione verticale della vita che
assicura il riferimento di tutte le aspirazioni ed esperienze ad un
valore assoluto e veramente universale, senza del quale è vano sperare
che l'umanità ritrovi un punto di unificazione, una garanzia di vera
libertà» (Apostolorum Limina, I; AAS 66, 1974, p.
293). Ebbene, la figura che oggi proponiamo all'attenzione del
mondo e alla venerazione della Chiesa è, come le altre che
seguiranno, l'esemplificazione vivente di questo programma, arduo
nelle sue esigenze severe ma eloquente nella sua efficacia, nella
irradiazione dei suoi risultati sul piano sociale e umano. È
l'immagine suadente che la santità - a cui tanto fortemente richiama
l'Anno per antonomasia Santo - è non solo possibile a umane forze,
ma reale, ma vera, ma presente in mezzo al mondo, nascosta, forte e
benefica. Questa la grande, introduttiva lezione del rito che stiamo
celebrando.
Il Santo Padre prosegue poi in francese.
Frères bien aimés et chers Fils,
En ce jour si attendu de tous, Notre cceur vibre à l'unisson du
votre, alors que Nous célébrons les mérites de Mère Marie-
Eugénie Milleret. Nous vous saluons d'abord, chères religieuses
de l'Assomption, chères élèves et anciennes élèves de leurs
Maisons d'éducation, et tous leurs amis venus de France et du monde
entier. Nous voulons également saluer à un titre particulier le
Cardinal Archevêque de Paris, Cité où la Bienheureuse mûrit
son projet de vocation et implanta ses premières fondations. Il a
lui-même contribué à faire connaître sa personnalité. Nous
sommes heureux de lui confier ce matin la présidence de cette
célébration eucharistique, au cœur même de 1'Eglise du Christ
que Mère Milleret a passionnément aimée. Mais d'abord, faut-il
rappeler ce qu'est une béatification? C'est une déclaration
officielle du Saint-Siège, qui vient après un long examen et
permet à une Eglise donnée ou à une famille religieuse
particulière, de rendre un culte à un Serviteur ou à une Servante
de Dieu, jugé digne d'un si grand honneur.
Notez-le bien: il s'agit d'un culte sacré, en étroite
dépendance du Culte que nous rendons à Dieu le Père, par le
Christ, dans l'Esprit- Saint. Lui seul est Saint: «Tu solus
Sanctus!». C'est en Lui que le culte des bienheureux trouve sa
seule source. «Mirabilis Deus in sanctis suis». C'est ce qui
fait d'ailleurs l'intérêt sans commune mesure de l'histoire des
Saints. Si la biographie des grands hommes, des personnalités
singulières, sont pour nous l'objet d'une étude profitable ou même
d'admiration, combien plus la connaissance des vies humaines dans
lesquelles transparaissent l'image même de Dieu et son action,
autrement dit cette beauté et cette perfection que nous appelons la
sainteté. Mais quelle est donc cette figure que 1'Eglise présente
aujourd'hui à notre vénération? En refermant la biographie de
Mère Marie- Eugénie, Nous avons éprouvé l'érmeveillement qui
naît de la certitude que Dieu agissait puissamment dans son âme, et
de manière inattendue. En effet, à la différence d'une sainte
Thérèse de Lisieux portée très tôt vers le don total par la foi
remarquable de ses parents et l'exemple de ses sœurs déjà rentrées
au monastère, la petite Anne-Eugénie Milleret, née à Metz en
mil-huit-cent-dix-sept est fille d'un père acquis aux idées de
Voltaire et d'une mère sans grande conviction religieuse. C'est en
recevant l'Eucharistie pour la première fois, le 25 décembre
mil-huit-cent-vingt-neuf, qu'elle fera cependant une expérience
intime, rapide, inexplicable, inoubliable de «l'infinie grandeur de
Dieu et de la petitesse humaine». Quelle lumière pour ceux qui
douteraient de l'opportunité de la Pastorale de l'Enfance!
Anne-Eugénie va commencer une route qu'elle identifiera
progressivement et vivra de plus en plus profondément, jusqu'à sa
mort, en mil-huit-cent-quatre-vingt-dix-huit. Des épreuves
particulièrement nombreuses l'associeront à la Passion et à la
Résurrection du Christ: la disparition précoce de son frère
Charles et de sa sœur Elisabeth, l'écroulement complet de la
fortune familiale, la séparation de ses parents, la mort de sa mère
très chère, victime du choléra. Cette adolescente de quinze ans,
privée du soutien maternel, placée dans une famille mondaine de
Châlons et ensuite chez des cousins habitant Paris, traverse des
crises de solitude et de tristesse. Ces souffrances écrasantes
amplifient ses interrogations angoissées sur le sens de la vie et de la
mort, et la prédisposent aussi à écouter la voix du Seigneur. Les
conférences de carême du Père Lacordaire résonnent alors dans le
cœur d'Anne-Eugénie. Plus tard, elle l'écrira elle-même au
célèbre dominicain: «Votre parole répondait à toutes mes pensées
. . . me donnait une générosité nouvelle, une foi que rien ne
devait plus faire vaciller . . . J'étais réellement convertie,
et j'avais conçu le désir de donner toutes mes forces, ou plutôt
toute ma faiblesse à cette Eglise qui seule désormais avait à mes
yeux le secret et la puissance du bien» (Cfr. M.-D.
POINSENET, Feu vert . au bout d'un siècle, éd.
Saint-Paul, Paris-Fribourg 1971, p. 20). Et très
souvent elle répétera: «Ma vocation date de Notre-Dame»
(Ibid.).3
Mais comment la réaliser? Cette jeune fille mûrie plus que
d'autres par la vie, énergique, extrêmement ouverte aux besoins
sociaux de son temps, admire vivement les catholiques qui ont pris
conscience des mutations de leur époque: La Mennais,
Montalembert, Ozanam, Cazalès, Veuillot. Dans ses notes
intimes, elle avoue: «je rêvais d'être un homme pour être comme
eux profondément utile». Certes, l'égoïsme et la médiocrité de
son propre milieu social la consternent, et pourtant elle voudrait
contribuer à poser des structures nouvelIes de liberté, de justice,
de fraternité. Elle rejoint en cela I'effort du catholicisme social
du dix-neuvième siècle, après la tourmente révolutionnaire et dans
une Eglise demeurée, dans son ensemble, très nostalgique du
passé. Or voici que se précise le plan mystérieux du Seigneur.
Un autre prêtre, débordant de zèle, 1'Abbé Combalot, repère
les qualités exceptionnelles de sa pénitente et ne tarde pas à lui
dévoiler son projet de fondation d'une Congrégation dédiée à
Notre-Dame de l'Assomption, dont les membres allieraient la
contemplation et l'éducation. Elle aura pourtant à souffrir de
l'autoritarisme de son conseiller, au point de devoir s'en
affranchir. Mais la Providence lui ménagea le soutien éclairé du
célèbre Abbé d'Alzon, qui devait bientôt fonder lui-même les
Pères de l'Assomption. Autre épreuve: l'autorité
ecclésiastique manifeste des inquiétudes pour un projet qui ne semble
pas réaliste. Mère Marie-Eugénie demande un délai de
réflexion.
Et sa réponse sera d'ouvrir à Paris le premier pensionnat de la
Congrégation au printemps de mil-huit-cent-quarante-deux. Le
petit arbre qui avait failli mourir pousse bientôt des racines
au-delà de la France, jusqu'en Afrique du Sud, en Angleterre,
en Espagne, en Italie, en Océanie, aux Philippines. N'est-il
pas remarquable de voir la Congrégation trouver dès son départ une
dimension internationale? Aujourd'hui, mille-huit-cents
religieuses travaillent activement au règne du Christ, stimulées par
l'exemple de leur Mère. Il est temps maintenant de regarder en face
l'originalité de cette famille religieuse. Mère Marie-Eugénie
tient souverainement à ce qu'elle maintienne deux axes essentiels:
l'adoration et l'éducation. Ce qu'elle résumera plus tard en deux
devises: «Laus Deo», et «Adveniat regnum tuum». Elle s'en
explique: «Des religieuses vouées par vocation à l'éducation ont
plus que d'autres besoin de se retremper dans la prière» (Cfr.
M.-D. POINSENET, Feu vert . . . au bout d'un
siècle, éd. Saint-Paul, Paris-Fribourg 1971, p.
90). Elle rejoint ici Thérèse d'Avila: «ne serait-ce pas
une vaine prétention de vouloir arroser un jardin en cessant de capter
les eaux du puits ou de la rivière?».
«En cherchant quelle doit être la marque la plus caractéristique de
notre Institut, poursuit notre bienheureuse, je me trouve toujours
arrêtée à cette pensée qu'en tout et de toutes manières, nous
devons être adoratrices et zélatrices des droits de Dieu. Vous
êtes filles de l'Assomption. Ce mystère, qui est plus du ciel que
de la terre, est 'un mystère d'adoration . . . S'il y a jamais
eu une adoratrice en esprit et vérité, c'est bien la Sainte
Vierge» (Cfr. M.-D. POINSENEJ, Feu vert . . . au
boat d'un siècle, éd. Saint-Paul, Paris-Fribourg 1971,
p. 191). Foi, silence, oraison, union, sont des mots qui
reviennent spontanément dans ses confidences et ses directives. Et à
sa suite un véritable peuple d'adoratrices atteste que Dieu est plus
que tout, et cherche dans la prière prolongée la signification et la
fécondité de son action. En somme, Mère Milleret, qui a laissé
converger vers elle et vers ses filles la spiritualité de saint
Benoît, de saint Jean de la Croix et de saint Ignace, veut 'une
famille religieuse passionnée de continuer le mystère du Christ
priant et enseignant. L'Evangile ne nous montre-t-il pas le
Christ s'imposant des temps de solitude et de prière prolongées,
pour converser avec Dieu, son Père, et rentrer dans son projet de
salut du monde? Aujourd'hui où tant d'hommes ne prient plus, où
tant d'autres, jeunes et moins jeunes, ont faim et soif de silence et
de prière, les religieuses de l'Assomption peuvent beaucoup
contribuer à faire découvrir ou retrouver les chemins de la prière,
qui sont aussi des chemins de libération pour l'homme moderne écrasé
par une civilisation réductrice.
Pour Mère Marie-Eugénie en effet, cette dimension verticale est
inséparable d'un engagement au service des hommes. En fait
d'engagement, il s'agit principalement de l'éducation des jeunes
filles: ce sera le trait caractéristique des religieuses de
l'Assomption. En un temps où beaucoup de femmes demeuraient sans
instruction ou n'avaient accès qu'à une culture superficielle,
Mère Milleret veut une éducation harmonieuse et complète de
l'esprit et du cœur. L'œuvre qu'elle conçoit est tout le
contraire d'une formation compartimentée, où il y aurait d'un
côté les sciences profanes, d'un autre les bonnes manières du
monde, d'un autre encore quelques pratiques chrétiennes. Elle vise
une éducation de tout l'être dont Jésus-Christ soit le principe
d'unité. Cette formation intègre évidemment une culture profonde,
digne de son temps, avec des éducatrices très compétentes. Elle
insiste non moins sur l'épanouissement des vertus naturelles :
simplicité, humilité, droiture, courage, esprit de sacrifice,
honneur, bonté, zêle. Elle a l'ambition de former des âmes
fortes, qui ne se laisseront pas emporter au vent des mœurs du temps,
au gré d'une sensibilité romantique, des instincts, des passions,
comme risquerait de la faire une non-directivité comprise selon
Rousseau (Cfr. ROUSSEAU, L'esprit de l'Assomption dans
I'éducation et l'enseignement, Desdée, Tournai 1910, pp.
120-138). Elle veut éduquer la volonté au vrai sens de la
liberté: «Faire connaître le Christ, libérateur et roi du
monde, c'est là pour moi le commencement et la fin de l'enseignement
chrétien», écrivait- elle à Lacordaire (Cfr. M.-D.
POINSENET, o.c., p. 152).
Qui ne le pressent: notre société, comme la sienne, a besoin de
ces caractères bien trempés qui permettront aux femmes d'accéder à
toutes les responsabilités qui leur reviennent dans la famille et dans
la société. Mère Milleret demeurait très soucieuse d'orienter
vers l'action caritative et sociale: s'adressant à des jeunes filles
d'un milieu aisé, elle ne veut pas qu'elles s'enferment dans un
monde frivole et insouciant, quand tant de gens manquent du
nécessaire. Elle provoque, chez elles et chez leurs parents, ce
qu'on appellerait maintenant une révision de vie. Toute cette
éducation, faut-il le redire, veut être imprégnée de foi, axée
sur la recherche passionnée de la vérité qui est en
Jésus-Christ. La Vierge y est présentée comme le modèle d'une
vie toute sanctifiée par l'amour de Dieu. Quelle lumière pour nous
chrétiens, qui serions parfois tentés, dans un monde sécularisé,
de séparer l'éducation humaine de la foi! Au terme de cet
entretien, ne pensez-vous pas que Mère Marie- Eugénie est notre
contemporaine, par les problèmes qu'elle a vécus et les solutions
qu'elle a tenté d'y apporter? Les saints, parce qu'ils sont les
intimes de Dieu, ne vieillissent pas!
Eclatez de joie, chères Sœurs de l'Assomption, et suivez avec
une ardeur juvénile les traces de votre Mère! Et vous toutes qui
constituez le monde féminin, soyez fières et rendez grâces au
Seigneur: la sainteté, cherchée dans tous les états de vie, est
la promotion la plus originale et la plus retentissante à laquelle les
femmes peuvent aspirer et accéder! Quant à vous, Maîtresses
foncièrement dévoués à l'Enseignement Catholique, renouvelez
encore votre confiance dans les possibilités étonnantes des
communautés éducatives authentiquement chrétiennes ! Et nous nous
tournons avec prédilection vers les jeunes si nombreux en cette
assemblée: vous êtes en recherche du sens de votre vie, en recherche
d'une alliance personnelle avec le Dieu de Jésus-Christ.
Pourquoi ne pas prêter une oreille attentive au Seigneur qui appelle
des ouvriers radicalement consacrés aux immenses besoins de
l'Evangélisation?
Cette cérémonie sera-t-elle sans lendemain? Non! Tous, nous
retournerons à nos tâches exigeantes, en emportant la nostalgie à la
fois très humble et très ardente de la sainteté! Nous aimerons
davantage contempler les merveilles de la grâce divine dans la vie des
saints, à la manière dont nos chers Fils de France peuvent admirer
le flamboiement du soleil dans les célèbres vitraux de Bourges, de
Chartres et de Paris! Avec Notre Bénédiction Apostolique.
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