|
Dimanche 14 décembre 1975
Nous venons d'écouter avec une vive émotion le Message que nous
adresse en ce jour Sa Sainteté Dimitrios Ier, Patriarche de
Constantinople. Oui, ces mots suscitent en nous beaucoup de joie et
d'espérance, et nous prions Votre Eminence qui avez eu l'honneur
de nous porter ce Message, d'exprimer à notre Frère bien-aimé,
le Patriarche de Constantinople, toute notre reconnaissance et notre
affection particulière dans le Seigneur. Puisse la rencontre
d'aujourd'hui marquer une nouvelle étape sur la route de l'unité!
«Grandes et admirables sont tes oeuvres, Seigneur Tout-Puissant.
Justes et véritables sont tes voies, Roi des Nations. Qui ne
craindrait, Seigneur, et ne glorifierait ton nom? Car toi seul es
saint. Toutes les nations viendront et se prosterneront devant Toi,
car tes jugements se sont manifestés» (Apoc. 15, 3-4).
C'est là le cantique de l'Agneau que chantent sur les harpes
divines ceux qui ont vaincu le mal.
Soyez les bienvenus parmi nous, Frères très chers, envoyés par la
vénérable Eglise de Constantinople afin de rendre avec nous
honneur, gloire et grâces au Dieu Tout-Puissant pour les grandes
et merveilleuses actions qu'il a accomplies de nos jours pour son
Eglise. Soyez les bienvenus parmi nous, Frères très chers, venus
pour vous unir à nous dans la prière et pour vous prosterner avec nous
devant la Sainteté de Dieu qui nous a rendu manifestes ses jugements
et nous a indiqué ses justes et véritables voies.
C'est pourquoi notre coeur est aujourd'hui plein de joie. Et nous
sommes également heureux qu'une délégation envoyée par nous se
trouve aujourd'hui en prière avec le Patriarche oecuménique dans
l'église Saint-Georges du Phanar.
Oui, il est encore présent de façon vivante à nos yeux le spectacle
magnifique de la célébration au cours de laquelle, il y a dix ans,
dans la basilique Saint-Pierre, parallèlement à ce qui
s'accomplissait dans l'église Saint-Georges du Phanar, nous
avons posé l'acte ecclésial solennel et sacré de la levée des
anciens anathèmes, acte par lequel nous avons voulu ôter pour
toujours de la mémoire et du coeur de l'Eglise le souvenir de ces
événements.
L'enthousiasme et la piété avec lesquels cette action a été reçue
dans la basilique Saint-Pierre par l'assemblée en prière nous a
montré clairement que cet événement était vraiment voulu par le
Seigneur. En effet se trouvaient alors présents les Pères du
concile qui achevaient, avec la bénédiction de Dieu, leurs travaux
conciliaires; les familles religieuses étaient également présentes,
ainsi qu'une multitude immense de laïcs venant de diverses parties du
monde.
La conscience des fidèles de l'Eglise a vu là un signe de
réparation pour des gestes mutuels regrettables et la manifestation
d'une volonté de construire ensemble, dans l'obéissance au
Seigneur, une nouvelle ère de fraternité, qui devra conduire
l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe, «Dieu aidant, à
vivre de nouveau, pour le plus grand bien des âmes et l'avènement du
règne de Dieu, dans la pleine communion de foi, de concorde
fraternelle et de vie sacramentelle qui exista entre elles au cours du
premier millénaire de la vie de l'Eglise» (Déclaration Commune
du 7 décembre 1965: AAS 58, 1966, p. 21; Tomos
Agapis, 127).
Dix ans après cet événement, nous renouvelons au Seigneur notre
fervente et humble gratitude, enrichie maintenant de raisons nouvelles
et plus importantes encore. En effet cet acte a libéré tant de
coeurs jusqu'alors prisonniers de leur amertume et noués par une
méfiance réciproque. La charité mutuelle a retrouvé son intensité
et elle est redevenue active. Tous, au même moment, nous avons
entendu la voix du Seigneur demandant à chacun de nous: «Où est
ton frère?» (Gen. 4, 9). Nous nous sommes alors mis à la
recherche l'un de l'autre et nous nous sommes rencontrés comme
frères, deux nouvelles fois avec le vénéré Patriarche
Athénagoras de sainte mémoire, que nous avons tellement estimé et
aimé, et bien d'autre fois avec tant de dignes pasteurs des Eglises
d'Orient et d'Occident. Ces nouvelles dispositions d'esprit se
sont répandues de plus en plus par l'action de l'Esprit Saint au
sein du peuple chrétien.
Ainsi, une purification intime de la mémoire se fraie un chemin de
plus en plus large. C'est dans cette perspective que le deuxième
concile du Vatican avait clairement déclaré que «c'est du renouveau
de l'âme, du renoncement à soi-même et d'une libre effusion de
charité que partent et mûrissent les désirs de l'unité»
(Unitatis Redintegratio, 7).
Le Saint-Esprit a illuminé nos intelligences et nous a conduits à
voir avec une lucidité accrue que l'Eglise catholique et l'Eglise
orthodoxe sont unies par une communion tellement profonde qu'il lui
manque bien peu pour qu'elle atteigne la plénitude autorisant une
célébration commune de l'Eucharistie du Seigneur «qui exprime et
réalise l'unité de l'Eglise» (Ibid. 2). Se trouve ainsi mis
en meilleure lumière le fait que nous avons en commun les mêmes
sacrements, signes efficaces de notre communion avec Dieu, et
particulièrement le même sacerdoce qui célèbre la même Eucharistie
du Seigneur, ainsi qu'un même épiscopat reçu dans la même
succession apostolique pour diriger le peuple de Dieu; et aussi que
«durant des siècles, célébrant ensemble les conciles oecuméniques
qui ont défendu le dépôt de la foi contre toute altération», nous
avons vécu «cette vie d'Eglises-soeurs» (Anno Ineunte: AAS
59, 1967, p. 853; Tomos Agapis, 176).
C'est la charité qui nous a permis de mieux prendre conscience de la
profondeur de notre unité. Au cours des récentes années, nous
avons aussi vu se développer un sentiment de responsabilité commune
envers la prédication de l'Evangile à toute créature, à laquelle
nuit gravement la division qui persiste entre les chrétiens (Cfr.
Unitatis Redintegratio, 1).
Aujourd'hui les relations entre nos Eglises entrent dans une nouvelle
étape avec la création de nouveaux instruments de dialogue, qui, se
fondant sur les grandes acquisitions de ces dix dernières années,
sont appelés à faire croître jusqu'à sa plénitude la communion
entre nos deux Eglises.
Frères très aimés, vous nous apportez la bonne nouvelle que les
Eglises orthodoxes, sur l'initiative du Patriarcat oecuménique,
ont décidé d'établir une commission pan-orthodoxe pour préparer le
dialogue théologique avec l'Eglise catholique, et en outre que ce
même Patriarcat de Constantinople a constitué sa propre commission
spéciale pour converser avec l'Eglise de Rome. Nous apprécions
vivement cette initiative et nous vous déclarons que nous sommes
pleinement disposé à faire de même de notre côté afin que nous
puissions approcher de la pleine communion en progressant ensemble «sur
cette voie infiniment supérieure» (1 Cor. 12, 31), celle de
la charité mutuelle.
Nous espérons que ces nouveaux instruments seront porteurs de
fraternité chrétienne et de communion ecclésiale, et inspirés d'un
amour sincère de la vérité totale. Il nous vient à l'esprit ce
que nous écrivions à notre bien-aimé Frère Athénagoras, de
vénérable mémoire: «Il faut en premier lieu qu'au service de
notre sainte foi nous travaillions fraternellement à trouver ensemble
les formes adaptées et progressives pour développer et actualiser,
dans la vie de nos Eglises, la communion qui, bien qu'imparfaite,
existe déjà» (Cfr. Anno Ineunte: AAS 59, 1967, p.
854; Tomos Agapis, 176).
De cette façon, nos coeurs étant «enracinés et fondés dans
l'amour» (Eph. 3, 17), professant «les dogmes fondamentaux
de la foi chrétienne» tels qu'ils «ont été définis dans les
conciles oecuméniques tenus en Orient» (Cfr. Unitatis
Redintegratio, 14), vivant de la vie des sacrements que nous avons
en commun et dans l'esprit de la communion de foi et de charité qui
jaillit de ces dons divins et s'y renforce, armés de puissance, par
son Esprit, pour que se fortifie l'homme intérieur (Cfr. Eph.
3, 16), puissions-nous ensemble progresser dans l'identification
des divergences et des difficultés qui séparent encore nos Eglises,
et finalement les surmonter par une réflexion de foi et une docilité
aux impulsions de l'Esprit.
Ainsi, dans le respect d'une légitime diversité liturgique,
spirituelle, disciplinaire et théologique (Cfr. Unitatis
Redintegratio, 14-17) puisse Dieu nous accorder de construire,
de façon stable et sûre, la pleine unité, entre nos Eglises!
Un tel dialogue, bien avant d'atteindre son objectif final, doit
viser à influencer la vie de nos Eglises, revivifiant la foi
commune, augmentant la charité réciproque, resserrant les liens de
communion, donnant un témoignage commun que Jésus-Christ est
Seigneur et qu'il n'y a «sous le ciel aucun autre nom offert aux
hommes qui soit nécessaire à notre salut» (Act. 4, 12).
C'est l'Esprit divin lui-même qui nous demande d'accomplir cette
tâche. Et l'incroyance qui paraît se répandre dans le monde et
tenter même les fidèles de nos Eglises n'exige-t-elle pas aussi
que nous rendions un meilleur témoignage de foi et d'unité? Cette
situation ne doit-elle pas nous pousser à faire tout notre possible
pour atteindre au plus vite cette unité que le Christ a demandée à
son Père pour ceux qui croient en lui afin que le monde croie?
(Cfr. Io. 17, 21)
Nous sommes ainsi appelés à communiquer aux autres l'espérance qui
est en nous et à en rendre compte (Cfr. 1 Petr. 3, 15).
Encore une fois, Frères très aimés, nous vous souhaitons la
bienvenue à cette prière commune avec nous, et à nouveau nous vous
remercions avec chaleur pour les bonnes nouvelles apportées au nom du
Seigneur.
Alors qu'arrivent à leur terme les célébrations de l'Année
Sainte, au cours de laquelle l'Eglise catholique a chaque jour
demande au Seigneur le renouveau et la réconciliation, nous rendons
grâces au Seigneur pour ce nouvel acte de fraternité entre nos
Eglises et pour notre engagement à continuer ensemble la recherche
commune de la plénitude de l'unité.
Au Seigneur «soit la gloire dans l'Eglise et en Jésus-Christ
pour toutes les générations aux siècles des siècles. Amen»
(Cfr. Eph. 3,21).
|
|