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Raymond Lulle fut un éminent chimiste: on lui doit la préparation
des huiles essentielles, du mercure doux, du carbonate de potasse au
moyen du tartare et des cendres de bois[32]. Raymond Lulle fut
l'admirable mystique ami de Dieu, aimé de lui. Il fut aussi le
génial philosophe dont les intuitions rejoignent souvent la doctrine
traditionnelle de l'occultisme. Si Lulle condamna l'alchimie,
ainsi qu'on vient de le voir, la géomancie[33] et en général la
pratique des "sciences occultes", on pourrait cependant le ranger
parmi les penseurs traditionnels et les théosophes. Comme eux, il
professe la théorie des correspondances, fondement de
l'ésotérisme. L'étude du Raymond Lulle historique mérite
d'être recommandée à l'occultiste, sur un plan différent, autant
que celle du pseudo-Lulle[34]. Mais l'auteur des traités
d'alchimie est bien un pseudo-Lulle. Le véritable Raymond ne fut
jamais alchimiste. Les ouvrages d'alchimie qu'on lui attribue sont
apocryphes.
Quel est donc l'auteur du corpus chyrnicum lulianum? A cette
question, qui surgit naturellement de l'étude du mythe lullien, on
ne pourra sans doute jamais donner de réponse satisfaisante. Les
petits et les grands alchimistes du XVe siècle et des siècles
suivants se sont couverts du patronage de Lulle. Ainsi s'explique la
diversité des éléments du corpus chymicum où les classiques de la
transmutation voisinent avec de naìves recettes de sorcier de village,
dignes en tous points des recueils attribués au Grand Albert, cet
autre mythe de la magie occidentale[35]. Le corpus chymicum
lulianum est issu de la collaboration non concertée de plusieurs
auteurs, dont la plupart resteront toujours inconnus, ou auxquels on
ne saura quels livres assigner. Il semble certain toutefois que
quelques-uns des meilleurs ouvrages du pseudo-Lulle sont sortis de la
plume de Raymond de Tarrega (appelé quelquefois, par erreur, R.
de Ferrago), juif espagnol converti puis dominicain apostat de la fin
du XIVe siècle. La condamnation par Grégoire XI de cinq cents
propositions tirées des oeuvres de Lulle, cette étrange condamnation
dont la bulle demeure introuvable et la réalité douteuse, n'est
peut-être qu'une autre légende bâtie autour de la condamnation et
de l'excommunication, assurées celles-là, de Raymond de Tarrega
que l'on aurait alors connu comme le pseudo-Lulle[36].
Gérard Dorn, l'éditeur, le traducteur et le commentateur de
Paracelse, l'érudit du XVIe siècle, est certainement
responsable de quelques «pseudo-Lulle». Jusqu'au XVIIe
siècle, peut être même à l'occasion de l'édition Salzinger,
des disciples sincères du Lulle selon leur coeur, ajoutèrent encore
quelques titres au corpus chymicum lulianum. Mais il est impossible à
l'aide de ces hypothèses fragmentaires, de poser sur le mythe lullien
une identité précise encore que multiple[37].
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