B) L'HOMME ET LE MYTHE

De l'homme, accablé sous le poids du mythe, il suffira de dire ici peu de choses. Raymond Lulle (Ramon Llull) est né à Majorque en 1233. Il est mort en 1315, peut-être martyr des Sarrasins. Après une jeunesse tumultueuse qui ne va pas sans rappeler celle de Saint Augustin, il abandonne sa riche famille, sa maison et se voue à l'apostolat des infidèles. Il parcourt l'Europe, l'Asie, l'Afrique; il fait naufrage; il tombe prisonnier des infidèles. Sa science est vaste : Lulle est à la fois poète, mystique et philosophe. Sa doctrine philosophique, qui combat Aristote et Averroës, repose essentiellement sur la croyance au pouvoir souverain de la raison qui, bien conduite -c'est le but de la dialectique lullienne, du système scolastique de l'Ars Magna- peut parvenir à la connaissance vraie de toutes réalités. Le talent du philosophe, dont l'influence fut considérable, égale celui du poète et du romancier qui chanta les joies de l'âme unie à son créateur (L'Ami et l'Aimé, le Félix, etc...) [15]. Mais parmi les dons multiples de Lulle, il en est un que la critique impartiale ne peut que lui refuser. Jamais le Docteur Illuminé ne fut alchimiste. L'étude très complète de Luanco[16] constitue le premier effort pour démontrer systématiquement cette vérité. Avant d'essayer d'exposer nous-mêmes pourquoi Lulle ne peut pas avoir été alchimiste et pourquoi il ne le fut pas, rendons justice à quelques vieux auteurs qui devinèrent l'invraisemblance d'un Lulle magicien. Gustave Naudé, au XVIIe siècle, comprenait Raymond Lulle et Arnaud de Villeneuve, «les deux idoles et dieux tutélaires des alchimistes» dans son «Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie»[17]. Pasqual [18], au XVIIIe siècle, attaqua Salzinger et dénonça comme apocryphes les traités d'alchimie de Raymond Lulle que l'éditeur allemand avait publiés.

Le voyage à Londres, l'authenticité du «corpus chymicum lulianum », le sentiment exprimé du Majorcain sur la transmutation des métaux, le débat sur l'alchimie de Lulle se réduit à ces trois points principaux. Examinons-les successivement.