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Penchons-nous maintenant sur les grimoires poussiéreux que compulsent
encore les alchimistes contemporains, qui constituent le corpus
chymicum lulianum [22] et dont les titres s'ornent du nom
prestigieux de Raymond Lulle. Cet ornement est-il emprunté?
Assurément, dit l'expertise, qui le prouve.
Deux catalogues bibliographiques ont été dressés du vivant même de
Lulle. Le premier de ces catalogues est de 1311, le second est
de peu postérieur au premier, sans doute de 1314[23] . Une
troisième liste complète les deux premières et énumère les
manuscrits inédits; elle fut établie par Lulle lui-même dans un
testament indiscutablement authentique en date du 26 avril
1313[24]. Or ces trois catalogues sont muets sur les milliers
de traités alchimiques que la postérité attribuera au Docteur
Illuminé.
Mieux encore, voici les résultats de l'application à ces traités
de la critique interne ou externe la plus impartiale. Aucun manuscrit
alchimique de Raymond Lulle n'est antérieur au XVe siècle. Le
style de ces manuscrits ne permet pas de dater leur rédaction au-delà
des dernières années du XIVe siècle et ce style ne ressemble en
rien à celui très caractéristique du vrai Raymond Lulle, le
dialecticien ou le poète. Non seulement Londres mais d'autres
villes ont, selon le pseudo-Lulle, été visitées par Raymond
alors que nous savons parfaitement qu'il n'y a jamais été. Le
pseudo-Lulle se réfère à des personnages postérieurs à la mort de
Raymond (1315). Aucun contemporain de Lulle, dont la vie
cependant, sinon la mort, nous est bien connue, ne sait rien de son
goût pour l'alchimie ni des travaux qu'il aurait entrepris sur cette
science. Il est même tort douteux que Rayrnond rencontrât jamais
Arnaud de Villeneuve. [25]
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